Depuis le 1er janvier 2025, la Région a la responsabilité de 525 km de routes nationales. Afin de financer le fort accroissement des investissements à leur amélioration, elle entend mettre en place, en 2027, une écocontribution pour les poids lourds (ECPL) circulant sur son réseau.
Après le transfert par l’État de routes nationales aux départements de la Haute-Marne et de la Moselle début 2024, c’est au tour de la Région Grand Est de prendre la responsabilité de plusieurs axes routiers depuis le 1er janvier 2025. Ce transfert de gestion à titre expérimental concerne 525 km de routes nationales non concédées : les nationales RN4, RN44, RN52 et RN431 ainsi que les autoroutes A30, A31, A33 et A313.
« Il s’agit d’axes nord-sud et est-ouest, structurants à l’échelle de la région », estime Thibaud Philipps, vice-président transports et mobilité durable du conseil régional de Grand Est, qui précise qu’il s’agit « d’un transfert de gestion et non de propriété : la région va gérer ces routes pour le compte de l’État, afin de prouver que le transfert permettra de remettre ces routes en état et de réaliser des aménagements importants, notamment le contournement de Saint-Dizier et la mise à 2x2 voies de la RN4 »
5 ans d’expérimentation
Le transfert de gestion des routes, également appelé « mise à disposition », a fait l’objet d’une convention État-Région adoptée en septembre 2023. Cette expérimentation se terminera à la fin de l’année 2029 avec soit un transfert définitif des routes à la Région, soit leur retour dans le giron de l’État, cette décision dépendant notamment de l’adoption ou non d’évolutions du cadre législatif.
En vertu de la loi climat et résilience, qui permet de prélever une redevance pour les véhicules de transport routier de marchandises de plus de 3,5 tonnes, la Région a décidé de mettre en place une « écocontribution » sur le périmètre des routes mises à disposition par l’État. Cette nouvelle contribution s’inscrit aussi dans le cadre de la directive européenne Eurovignette qui prévoit, pour les poids lourds, une modulation en fonction du tonnage, de la classe Euro (norme respectée en matière d’émissions de polluants) et des émissions de CO2 du véhicule.
Un budget annexe abondé par l’écocontribution
Pour justifier la mise en place de cette redevance, la Région Grand Est souligne que les routes mises à disposition nécessitent des travaux importants. Il s’agit, en particulier, de remise en état et de modernisation de chaussées, d’ouvrages d’art ou d’aires de repos, mais également d’amélioration de la sécurité et de la fluidité des infrastructures. Des investissements qui dépasseraient les moyens humains, matériels et financiers mis à disposition de la Région par l’État pour accompagner la mise à disposition de ses routes. La Région envisage d’investir 1 milliard d’euros sur ces infrastructures dans les dix prochaines années.
Pour l’année 2025, c’est un budget de 92 millions d’euros d’investissements qui a été adopté par la Région permettant de régénérer 75 km de chaussées, mais également de financer plusieurs chantiers majeurs (études et/ou lancement des travaux, selon l’avancement des projets). On peut notamment citer, sur la RN4, la mise à 2x2 voies entre Gogney et Saint-Georges et la déviation de Saint-Dizier.
Afin que les ressources issues de l’écocontribution ne financent pas le budget global de la Région mais servent spécifiquement au transport de marchandises, la collectivité a fait le choix de mettre en place une comptabilité distincte en adoptant le 17 octobre 2024 la création d’un budget annexe. Dans un premier temps, celui-ci sera utilisé uniquement pour la remise en état du réseau routier. À plus long terme, précise la Région, les fonds issus de l’écocontribution pourront financer d’autres infrastructures de fret, notamment fluviales et ferroviaires : « Ces nouvelles ressources financières contribueront, entre autres, à remettre à niveau le réseau, à assurer son développement au profit de l’attractivité économique du territoire, à permettre la réalisation d’infrastructures multimodales attendues par les acteurs économiques et ainsi à favoriser le passage de la route vers d’autres modes de transport. »
Les transporteurs rejettent le projet
Ce projet de nouvelle mise à contribution du transport routier pour le financement des infrastructures passe mal auprès des milieux économiques. Le Medef a ainsi pris position contre, de même que les représentants des transporteurs routiers, qui sont déjà très mobilisés contre un projet comparable de la Collectivité européenne d’Alsace (R-Pass) concernant une partie du réseau routier de cette dernière (essentiellement l’A35).
« Nous sommes preneurs de davantage de budget pour l’entretien des routes, qui sont notre outil de travail et que nous finançons déjà via la taxe à l’essieu, indique Marie Breton, déléguée Grand Est de l’Union des entreprises Transport et Logistique de France (TLF). Pour l’instant, nous avons peu d’éléments sur le projet de la Région, qui en est à ses prémices. Nous avons été sollicités dans le cadre de l’élaboration du cahier des charges de l’étude d’impact, mais nous déplorons qu’elle soit confiée au même cabinet d’étude que celle concernant le projet R-Pass, car nous en contestons les calculs. Nous avons pointé des manques, en particulier en ce qui concerne la compétitivité de l’économie du Grand Est ainsi que le financement par la route du report modal, sans prévoir d’évaluer ce report modal. Ce que nous déplorons aussi, c’est que la procédure pour sélectionner l’opérateur de collecte de la taxe ait déjà été lancée : c’est à se demander à quoi va servir l’étude d’impact ! »
Lancement d’un appel à candidatures
La Région Grand Est a, en effet, lancé le 1er juillet 2024 un appel à candidatures pour la mise en œuvre de l’écocontribution. La procédure a pour but de sélectionner l’opérateur qui sera chargé de mettre en place puis d’opérer le système de collecte et de contrôle de l’écocontribution. Trois candidats ont été retenus pour proposer une offre. La Région prévoit d’attribuer un marché à un opérateur d’ici fin 2025.
L’opposition à l’écocontribution est partagée par l’OTRE (Organisation des transporteurs routiers européens), dont la secrétaire générale Grand Est, Caroline Caire, craint que les entreprises supportant cette charge ne parviennent pas en répercuter le coût sur leurs clients : « Cela va surtout impacter les transporteurs locaux, car les transporteurs étrangers circulent davantage sur les autoroutes que sur les nationales. La profession souffre énormément de l’augmentation des coûts, et les négociations commerciales ne se font pas. Les transporteurs ne pourront pas prendre en charge cette nouvelle taxe, alors qu’ils n’arrivent pas à répercuter l’inflation à leurs clients. Pourquoi toujours taxer le transporteur, et non celui qui réceptionne les marchandises ou le client final ? Cela aurait l’avantage de montrer que le transport a un coût, et cela faciliterait la relocalisation. »
Des craintes concernant le taux kilométrique et son évolution future
Dans le courant de l’année 2025, le Conseil régional prendra une nouvelle délibération pour compléter celle de septembre 2023 qui avait acté le transfert expérimental des routes et le principe d’une écocontribution. Il reste, en effet, à déterminer le taux kilométrique, ainsi que les modalités de prélèvement qui devraient passer par un dispositif embarqué à bord des camions (OBU, « on board unit »), comme cela se fait déjà ailleurs en Europe.
« L’étude d’impact devra prendre en compte différents taux kilométrique et déterminer les conséquences de chacun d’entre eux, prévoit Thibaud Philipps. Des aides économiques de la Région pourront ensuite compenser ces impacts. Des dispositifs d’aide sont indispensables pour les entreprises faisant du transport local, car leur compétitivité sera diminuée par rapport à celles des régions françaises limitrophes, qui ne seront pas concernées par l’écocontribution. »
Au-delà du principe même de la taxe, son montant est aussi vivement critiqué par les représentants des transporteurs routiers, qui craignent aussi qu’il évolue à la hausse par la suite. « La Région annonce qu’elle entretiendrait mieux les routes que l’État, et veut pour cela collecter 1 milliard d’euros sur huit ans : c’est déjà une somme considérable, bien supérieure aux 40 millions d’euros annuels prévus pour le R-Pass en Alsace, détaille Brigitte Kempf, co-présidente Alsace de la FNTR (Fédération nationale des transports routiers). Mais surtout, nous ne sommes pas à l’abri d’une évolution similaire à ce qui s’est passé pour la LKW Maut en Allemagne, où le taux de la taxe a augmenté tandis que le tonnage à partir duquel les camions y sont assujettis a baissé. Une fois la taxe en place, la Région a les curseurs en main et peut se servir sur le dos des transporteurs. »
Vers une gestion publique régionale d’autoroutes actuellement concédées ?
Au-delà de 2027, qui est la date prévue par la région Grand Est pour l’entrée en vigueur de l’écocontribution, le périmètre des routes soumises à cette nouvelle redevance pourrait s’élargir à des autoroutes actuellement concédées à des sociétés privées.
« Nous regardons avec beaucoup d’intérêt la fin de la concession de la Sanef sur l’autoroute A4, qui interviendra en 2032, confirme Thibaud Philipps. Le modèle concessif est en effet plus cher pour l’utilisateur, car la recette va aux actionnaires et non à l’investissement dans les services publics. L’expérimentation qui débutera l’année prochaine servira donc aussi à voir si le transfert peut fonctionner pour une autoroute. »