Les chemins de fer suisses implantent en Alsace leur filiale française

L’intérêt pour le transport de marchandises par rail en France réside surtout, pour la compagnie ferroviaire helvétique, dans la recherche d’itinéraires alternatifs à destination de la mer du Nord. Une des pistes à l’étude passe par l’augmentation du gabarit des tunnels vosgiens.

Le Grand Est a un rôle important à jouer pour faciliter les flux internationaux de marchandises via le rail. Les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF, SBB en allemand) l’ont, semble-t-il, bien compris puisqu’ils viennent de créer une filiale en France, implantée dans la région, tout près de la frontière suisse. Répondant au nom de SBB Cargo France, cette nouvelle entreprise ferroviaire constituera un atout pour disposer d’itinéraires de fret alternatifs via l’Hexagone et renforcer la compétitivité du mode ferroviaire pour ces flux.

Pour les acteurs suisses du fret ferroviaire, le Grand Est constitue un territoire très intéressant pour renforcer et améliorer la robustesse des liaisons entre, d’une part, la Suisse et, d’autre part, le Benelux, l’Allemagne du Nord-Ouest et les grands ports maritimes de la mer du Nord. Cependant, quelques obstacles s’opposent encore actuellement à l’accroissement du rôle du Grand Est pour ces flux ferroviaires. Au premier rang desquels figure le gabarit insuffisant des tunnels vosgiens. D’où une forte attente pour leur mise au gabarit P400, c’est-à-dire permettant le passage de remorques de 4 mètres de hauteur.

Du gabarit P400 sous les Vosges ?

C’est donc assez logiquement que la mise au gabarit P400 des tunnels vosgiens figure en haut de la liste des travaux prioritaires à mener dans le cadre du programme Ulysse Fret qui prévoit 4 milliards d’euros d’investissements sur la période 2024-2032. Il faudra, cependant, attendre la finalisation du calendrier de mise en œuvre des investissements présentant le plus fort effet de levier de développement pour le fret ferroviaire – prévue pour juillet 2024 – pour en obtenir la confirmation.

Plus en détail, sur les sept tunnels qui jalonnent la traversée des Vosges entre Sarrebourg et Saverne, un seul a déjà été mis au gabarit, les six autres restant à traiter. SNCF Réseau a dès maintenant obtenu un financement européen de 50 % des coûts engagés pour les études amont. Mais il s’agit là d’un projet à plusieurs centaines de millions d’euros.

Des itinéraires alternatifs

Parmi les autres projets structurants qui pourraient faciliter les flux de longue distance en Grand Est, figure l’utilisation plus soutenue d’un corridor alternatif évitant le sillon lorrain en passant par Longuyon, Conflans-Jarny et Onville. L’infrastructure existe et des trains circulent. Cependant, quelques aménagements seraient à réaliser pour améliorer la performance de l’axe, notamment à Conflans-Jarny. 

La ligne à double voie Strasbourg – Lauterbourg est également vue comme un potentiel itinéraire alternatif à la ligne ferroviaire parallèle côté allemand. Néanmoins, plusieurs éléments s’opposent à cette solution. La ligne n’est pas électrifiée et son système de signalisation modérément capacitaire. De plus et surtout, la voie en elle-même est vieillissante et doit faire l’objet de lourds travaux de régénération : certains rails auraient plus de 70 ans. C’est pourquoi la Région Grand Est a fait le choix de consacrer cette ligne à des trafics à vocation essentiellement locale, voyageurs mais aussi fret, avec la desserte en particulier du port de Lauterbourg.

Création de SBB Cargo France

Bien qu’à plus ou moins longs termes, les potentiels de ces projets en Grand Est pour le développement du fret ferroviaire n’ont pas manqué de susciter l’intérêt des Chemins de fer fédéraux suisses. Ils vont, en effet, être confrontés à des problèmes de capacité liés à la réalisation de travaux sur le corridor de fret reliant les ports de la Mer du Nord à Gênes via Cologne, Karlsruhe et Bâle, qui ne devraient pas être résolus avant 2040.

Pleinement conscients de l’impact à venir de ces travaux mais aussi des risques toujours présents d’incidents majeurs tel que celui de Rastatt en août 2017, les CFF viennent de créer une filiale en France. Dénommée SBB Cargo France, cette nouvelle entité est basée à Huningue, dans le Haut-Rhin, à quelques kilomètres seulement de la frontière suisse, dans l’agglomération trinationale autour de Bâle. Son rôle ne sera donc pas uniquement de développer le fret ferroviaire dans l’Hexagone mais également de profiter des itinéraires alternatifs existant à travers le Grand Est pour acheminer ses trains de fret. Dès maintenant, un axe pourrait être privilégié via Thionville pour des trains acheminés entre Bâle et Coblence.

Soutien financier de la Suisse ?

Les opérations de fret des Chemins de fer suisses en France sont, pour l’heure, très limitées. Le trafic de transit sur le corridor Bâle - Strasbourg - Luxembourg - Anvers a été organisé par Sibelit (Société pour l’itinéraire Belgique, Lorraine-Luxembourg, Italie), une entreprise commune composée de la SNCF, des Chemins de fer luxembourgeois (CFL) et de l'opérateur de fret belge Lineas, la plupart des autres marchandises transfrontalières échangées entre la Suisse et la France étant du ressort de Fret SNCF en parcours d’interpénétration en Suisse.

Cela pourrait, toutefois, potentiellement évoluer dans le prolongement d’une volonté exprimée par certains élus suisses que leur pays apporte une aide financière à la France pour la réalisation d’une partie des travaux précités. Ce soutien financier, s’il se concrétisait, constituerait une première dans le domaine du fret ferroviaire, la Suisse ayant notamment déjà participé au financement du Léman Express dans le domaine des voyageurs.

 

Photo : © Olivier Constant