Les coopératives agricoles témoignent de leur implication pour pérenniser les lignes ferroviaires fret Coolus-Luyères et Oiry-Esternay. Leur maintien a été rendu possible grâce à un important financement public et à la mobilisation des chargeurs.
Le Grand Est est la première région française pour la surface cultivée dédiée aux céréales : il représente à lui seul 15 % du total national. Avec 1,4 millions d’hectares en 2021, c’est près d’un hectare sur 4 du territoire régional (24 % de 57 433 km²) qui est consacré à la culture de céréales. Le blé en représente à lui seul environ la moitié (53 %). Le Grand Est, avec 5,5 millions de tonnes, est la 2e région productrice de blé au niveau français (15 %), juste derrière les Hauts-de-France. La Champagne-Ardenne représente à elle seule environ 60 % de la production de blé de la région. (Source : Agreste, Ministère de l’agriculture)
Les céréales – et, en particulier, le blé – produites en Grand Est sont très largement consommées en dehors de la région et notamment à l’international. Ainsi, près d’un tiers du blé produit en France est exporté en dehors de l’Union européenne et près d’un cinquième du blé est à destination d’un autre pays de l’UE que la France.
Chaque année, ce sont donc des centaines de milliers de tonnes de blé qu’il faut transporter vers les ports maritimes – et notamment celui de Rouen – afin de pouvoir les exporter vers les pays consommateurs, tels l’Algérie ou le Maroc. Pour transporter de tels volumes, les modes massifiés et, en particulier, le ferroviaire sont particulièrement adaptées.
Or, le Grand Est dispose, par ailleurs, d’un réseau ferroviaire assez fortement ramifié. C’est notamment le cas dans la Marne et dans l’Aube avec de longues lignes dédiées au fret et desservant surtout des silos agricoles et des usines agro-alimentaires.
Coolus-Luyères et Oiry-Esternay : deux lignes capillaires fret principalement consacrées au transport de céréales
Parmi les petites lignes ferroviaires dédiées aux flux de marchandises, aussi appelées « capillaires fret », celle reliant Coolus, près de Châlons-en-Champagne, à Luyères, près de Troyes, est l’une des plus utilisées de la région pour le transport de céréales. Le mauvais état des 89 km linéaires de voie, cependant, remettait en cause la pérennité de son exploitation pour la desserte des silos qui sont implantés le long de l’itinéraire.
Une autre ligne présentait les mêmes caractéristiques, avec des tonnages de céréales transportés légèrement inférieurs : celle, d’une longueur de 70 km, reliant Oiry, près d’Épernay, à Esternay, près de Sézanne, dans le sud-ouest de la Marne. Celle-ci dessert également une importante sucrerie appartenant au groupe Tereos à Connantre.
« En 2014, il y avait 12 lignes capillaires fret en région Champagne-Ardenne, dont 9 concernaient des coopératives agricoles », rappelle Sylvain Hinschberger, président de La Coopération Agricole Grand Est, fédération qui regroupe 230 coopératives agricoles de la région. Exploitant agricole dans la Meuse et vice-président du groupe coopératif agricole Vivescia, basé à Reims, il souligne que les lignes Coolus-Luyères et Oiry-Esternay « sont deux lignes emblématiques des difficultés du transport ferroviaire de céréales, car ce sont celles de la région qui présentent le plus grand linéaire ainsi que le plus grand nombre d’embranchés. Ce sont aussi les deux premières à avoir été menacées de fermeture et, alors que d’autres lignes ont été abandonnées, elles ont fait l’objet de travaux et sont aujourd’hui tenues à bout de bras. »
Des travaux pour pérenniser les lignes pour 5 à 10 ans
Les coopératives agricoles de la région se sont en effet mobilisées, aux côtés des pouvoirs publics, pour éviter leur fermeture. En 2017, un premier contrat conventionnel a été signé entre les coopératives, les collectivités locales, la Région, l’État et SNCF Réseau pour investir 6 millions d’euros sur ces lignes sur une durée de cinq ans. Cette première étape appelait une poursuite de la remise en état et la question de nouveaux investissements s’est à nouveau posée en 2022.
Un nouvel accord a été mis au point sous l’égide des préfets. La ligne Oiry-Esternay bénéficie d’une tranche de travaux de près de 30 millions d’euros (engagement pour 5 ans d’extension d’exploitation) et la ligne Coolus-Luyères bénéficie d’un programme de travaux en plusieurs tranches pour un budget total de près de 50 millions d’euros (engagement sur une durée de 10 ans).
« Les coopératives ont dû mener un gros travail de sensibilisation des collectivités, dont les financements sont indispensables à la pérennisation des lignes, SNCF Réseau n’ayant plus les moyens de la prendre en charge », rappelle Sylvain Hinschberger.
Dans le détail, les Départements ont contribué à près de 25 % du financement des travaux, la Région 27,5 % et l’État à hauteur de 46 %. Les travaux sont prévus entre 2024 et 2026, selon les parties de lignes.
Des conditions d’exploitation difficiles
La maintenance annuelle est financée par les embranchés proportionnellement aux tonnages transportés, avec, en outre, un engagement sur un seuil minimal annuel de financement en cas de faible trafic.
Les coopératives doivent, par ailleurs, faire face à des conditions d’exploitation dégradées. La vitesse est, par exemple, actuellement limitée à 30 km/h. De plus, sur chacune de ces lignes, il ne peut se trouver qu’un unique train à la fois : les règles de sécurité ferroviaire qui s’y appliquent font que toute circulation y est interdite si un train est déjà présent, même en cours de chargement sur une voie secondaire. En été, la circulation peut tout simplement être interrompue dès que la température est trop élevée, car la chaleur provoque des dilatations excessives des rails. Cela peut se révéler très handicapant pour le transport des récoltes après la moisson.
« Les conventions passées ont permis de stabiliser les trafics, ce qui est déjà une belle réussite, estime Sylvain Hinschberger. Mais la terrible lourdeur des contraintes d’exploitation ne permet parfois pas aux chargeurs d’atteindre les seuils fixés. Mis à part les entreprises dont les clients ne peuvent être livrés que par train, qui perdent dans ce cas des marchés, la solution la plus simple et la plus flexible, à chaque annulation de sillon, est souvent de remettre des camions sur la route à raison de 45 camions pour chaque train de 1 300 t annulé. »
Une stabilisation de la situation et un cadre à consolider à l’avenir
Les travaux réalisés ont cependant permis de préserver le fret ferroviaire pour les silos présents le long de ces lignes. Ainsi, la ligne Coolus-Luyères voit la circulation de près de 350 trains par an sur sa section la plus fréquentée (entre Coolus et Nuisement). Environ la moitié d’entre eux vont jusqu’à Arcis-sur-Aube, tandis que la section finale jusqu’à Luyères voit passer un peu moins de 100 trains dans l’année. Quant à la ligne Oiry-Esternay, avec cinq embranchés, son trafic s’établit à environ 125 trains par an en moyenne avec aussi, fort logiquement, un nombre de trains qui diminue à mesure que l’on s’éloigne d’Oiry.
Les accords de financement actuels permettent une certaine visibilité de court et moyen terme. Les perspectives à plus long terme restent actuellement encore à éclaircir et alimenteront les discussions en comité de ligne. Ces réunions réunissent régulièrement l’ensemble des utilisateurs de la ligne et des partenaires contribuant au financement de la régénération et de l’entretien de la ligne. Le président de La Coopération Agricole Grand Est se montre « favorable à un financement par le chargeur » mais pose la condition « que le service soit au rendez-vous, ce qui n’est pas le cas. Le financement a changé, il faut aussi modifier la réglementation applicable, sinon d’autres lignes fermeront à l’avenir. Quant à celles qui ont déjà fermé, elles ne rouvriront pas. »