Lors du 2e atelier de la Conférence régionale du fret et de la logistique qui a eu lieu le 15 novembre 2022, une table ronde a permis de discuter des enjeux liés aux flux de marchandises et aux infrastructures de transport, aujourd’hui et à plus long terme.
Après un 1er atelier consacré à l’immobilier logistique et au foncier, la Conférence régionale du fret et de la logistique en Grand Est s’est poursuivie avec une 2e journée de travail le 15 novembre 2022 à Metz. Celle-ci était consacrée aux infrastructures de transport (leur entretien, leur développement, leurs financements, etc.) et aux flux de fret, notamment vis-à-vis de l’enjeu de développer leur massification et le report modal.
Le programme de la journée comprenait, d’une part, une matinée consacrée au partage du diagnostic et des enjeux et, d’autre part, une après-midi sous la forme de 5 petits sous-groupes de travail autour des chantiers et actions à mener pour répondre aux enjeux. La séquence du matin débutait par une présentation par Kevin Pereira, du bureau d’études Interface Transport, du diagnostic réalisé en amont de la journée de travail. À la suite de celle-ci, une table ronde réunissant 6 intervenants aux profils variés a permis de compléter et d’illustrer plus concrètement les enjeux abordés par Kevin Pereira dans son intervention introductive.
Intervenants à la table ronde
Vincent Ferstler
Chef du bureau du fret ferroviaire et du transport combiné à la DGITM, la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités du Ministère en charge des transports et de la transition écologiqueAnne-Marie Herbourg
Directrice générale adjointe en charge du patrimoine et de l’aménagement des territoires au Conseil départemental de la MoselleLaurence Berrut
Directrice territoriale Grand Est de SNCF RéseauYann Quiquandon
Directeur territorial de Voies Navigables de France Strasbourg (Alsace, Est de la Moselle et Nord de la Franche-Comté)Lionel Le Maire
Directeur des transports de Soufflet, groupe agroalimentaire basé à Nogent-sur-Seine (Aube), intégré depuis 2021 au groupement de coopératives agricoles InVivoPhilippe Virtel
Président du groupe MGE basé à Chavelot près d’Épinal (Vosges), prestataire de services logistiques, transporteur routier et intermodal
La table ronde était animée par Kevin Pereira (Interface Transport).
3 messages clés
Du point de vue d’un gestionnaire d’infrastructure
Il est important de construire une vision de long terme mais, dans le même temps, il faut aussi être capable de répondre aux besoins d’aujourd’hui en apportant des solutions à court terme. Il faut savoir être pragmatique et réactif.
De la part d’un chargeur
Le ferroviaire et fluvial sont toujours perçus comme des modes de transport difficiles d’accès et techniques. Il faut pouvoir simplifier le recours aux modes massifiés, ce qui passe par l’amélioration de leur performance. Il faut que les flux planifiés soient effectivement assurés. Il faut laisser suffisamment de temps aux chargeurs pour charger convenablement les trains afin qu’il n’y ait pas de wagons qui circulent vides et soient inutilement coûteux.
De la part d’un transporteur
Fournir des services de transport, cela implique d’être capable d’intégrer du mieux possible des contraintes multiples, complexes et parfois opposées : gérer la congestion des infrastructures, décarboner les transports, gérer la rareté des ressources, intégrer les évolutions réglementaires, etc.
Vincent Ferstler
Les modalités d’intervention de l’État pour développer le fret ferroviaire
Vincent Ferstler insiste, en introduction, sur l’intérêt de se donner un objectif et rappelle notamment l’ambition nationale de doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici à 2030. Pour faciliter l’atteinte de cet objectif ambitieux, l’État renforce ses moyens financiers alloués au ferroviaire et au fret en particulier. De son point de vue, le fret ferroviaire se trouve actuellement à la croisée des chemins entre, d’une part, les crises économiques, des décennies de désindustrialisation et les difficultés pour les ports maritimes à massifier les flux depuis et vers leurs hinterlands et, d’autre part, la nécessité impérieuse de mener à bien la transition écologique des transports de marchandises en France face aux enjeux climatiques et énergétiques.
La Loi d’Orientation des Mobilités adoptée en 2019 prévoyait l’élaboration d’une stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire. Publiée en 2021, cette stratégie comprend 72 mesures visant à concourir à l’atteinte de l’objectif de doubler la part modale du ferroviaire dans le transport de marchandises.
Vincent Ferstler présente 4 grands enjeux majeurs associés à cette stratégie :
– les modèles économiques des services
– la qualité de service (notamment de la part de SNCF Réseau vis-à-vis de ses clients)
– le renforcement des investissements
– l’amélioration de la coordination entre les modes massifiés.
Il précise ensuite quelques-unes des 72 actions de la stratégie et des soutiens de l’État :
– une enveloppe de 210 millions d’euros pour atténuer l’impact des travaux sur la circulation des trains de fret
– la facilitation des démarches administratives pour le transport combiné
– l’amélioration de la connaissance des points d’accès au réseau et sa diffusion, au travers notamment de la base données des installations terminales embranchées « ITE 3000 » développée par le Cerema
– la mise en œuvre d’un schéma directeur du transport combiné (projection à 2030-2040 des flux et des infrastructures, ainsi que projection de leur mise en œuvre)
– l’élaboration d’un schéma national pour le transport des semi-remorques
– la mise en place de « Plateformes services et infrastructures » sur l’ensemble du territoire afin de développer, par le dialogue entre acteurs, une vision stratégique pour le réseau à l’échelle de chaque grande région ferroviaire
– une enveloppe de 300 millions d’euros par an d’aides à l'exploitation permettant notamment la prise en charge par l’État de 70 % des péages ferroviaires dans le cadre d’un programme d’investissement total s’élevant à 1 milliard d’euros, dont 50 % abondé par l’État.
Anne-Marie Herbourg
Les évolutions des usages du réseau routier et de ses modèles économiques et de gouvernance
Anne-Marie Herbourg présente la complexité du réseau routier caractérisé par une multiplicité de gestionnaires de la voirie (État, départements, intercommunalités…) et de niveaux de service différents. Or, les usagers attendent de pouvoir effectuer des trajets d’un point A à un point B sans percevoir de rupture.
Elle illustre son propos avec le travail mené par le Département de la Moselle pour hiérarchiser son réseau. Il est de plus en plus nécessaire de prendre en compte les usages réels des infrastructures et leurs évolutions, notamment à cause des applications de navigation GPS. Certaines routes sont ainsi empruntées par des poids lourds sans avoir été dimensionnées pour les supporter. Cela pose la question de savoir s’il faut ou non recalibrer l’infrastructure pour l’adapter à ces nouveaux usages.
Elle met en exergue deux enjeux majeurs :
– La gouvernance :
« Hier, on décidait, puis on appliquait ; aujourd’hui, on travaille beaucoup plus en amont. »
– Les modèles économiques :
Sur le plan des ressources financières, les départements ont perdu des marges de manœuvre en matière de fiscalité locale. Ils doivent faire avec les dotations de l’Etat. Anne-Marie Herbourg souligne que le Département de la Moselle a comme politique de solliciter les intercommunalités pour qu’elles participent et cofinancent les investissements sur les routes départementales qui sont situées sur leur territoire.
Laurence Berrut
Les enjeux et les leviers pour le développement du fret ferroviaire en Grand Est
En matière de fret ferroviaire, la Directrice territoriale de SNCF Réseau rapproche, dans une certaine mesure, la situation du territoire régional avec celle d’un colosse aux pieds d’argile.
Le Grand Est est, en effet, une région très bien dotée comparativement aux autres en termes de densité du réseau ferroviaire et des circulations de trains de marchandises. Elle est en tête des régions françaises en matière de trafic national fret. 2 corridors fret européens traversent le territoire (corridors Mer du Nord – Méditerranée et Atlantique). Elle dispose aussi d’un important réseau de lignes capillaires dédiées au fret (un peu plus de 400 km, environ 5 millions de tonnes de marchandises par an). La région dispose aussi de la gare de triage de Woippy qui traite environ 1 000 wagons par jour ainsi que d’importants ports fluviaux embranchés au réseau ferré situés le long du Rhin et de la Moselle.
Néanmoins, le système ferroviaire régional présente des points faibles le rendant fragile. Les péages demandés pour les trains de fret sont clairement insuffisants pour financer les besoins d’investissements élevés nécessaires pour régénérer le réseau, le développer et mettre en œuvre des aménagements permettant d’accroître sa robustesse et sa performance pour le fret.
À partir de ces constats, Laurence Berrut décrit ensuite l’enjeu de la temporalité des besoins : il est nécessaire de s’inscrire dans le temps long, car les travaux et les investissements peuvent être très lourds. Cela suppose aussi de la concertation en amont, d’autant que les travaux peuvent contraindre fortement les circulations des trains pendant toute leur durée. Or, dans le même temps, les transporteurs et les chargeurs ont souvent besoin de trouver très rapidement des solutions à leurs besoins. La gestion opérationnelle au quotidien peut ainsi parfois s’apparenter à une gestion de crise, car elle doit souvent pallier aujourd’hui le manque de vision et d’investissements d’hier.
Cela étant, des avancées très positives ont été possibles récemment, notamment en développant les collaborations, à l’exemple des partenariats signés avec Voies Navigables de France et le Port Autonome de Strasbourg. Ceux-ci visent, en particulier, à développer la complémentarité entre les modes ferroviaire et fluvial dans l’objectif d’accroître leurs parts modales. Les financements pour les lignes capillaires fret augmentent aussi fortement, avec un budget de 71 millions d’euros pour 8 lignes sur une seule année, soit 50 % de plus qu’entre 2015 et 2020.
Laurence Berrut conclut son intervention sur la nécessité de construire une vision de long terme, tout en proposant des solutions de court terme pour répondre aux besoins d’aujourd’hui. Elle appelle pour ce faire à privilégier le pragmatisme aux dépens des grands processus. Les modèles économiques ne peuvent pas être les mêmes entre le réseau structurant européen et les petites lignes capillaires fret. Il est nécessaire de les repenser. Cela doit s’inscrire dans un grand projet pour le fret en Grand Est, mobilisateur dans la durée.
Yann Quiquandon
Les leviers du transport fluvial en Grand Est pour décarboner le fret
Yann Quiquandon cite quelques-uns des atouts du transport fluvial pour le Grand Est :
– Sa connexion au Rhin :
Ce fleuve constitue une véritable autoroute fluviale à l’échelle européenne avec des trafics annuels de 300 millions de tonnes, dont 20 millions aux écluses de Gambsheim et 6 millions de tonnes sur la Moselle.
– Sa résilience :
99 % du réseau à grand gabarit est resté ouvert à la navigation pendant l’été 2022, malgré une sécheresse historique. La disponibilité de la ressource en eau constitue néanmoins un enjeu prenant de plus en plus d’importance.
– Sa présence au cœur de nombreuses villes :
Une grande part des principales agglomérations du Grand Est sont accessibles par la voie d’eau. Cela rend possible le développement de solutions de logistique urbaine fluviale, comme à Strasbourg. Celles-ci apparaissent de plus en plus intéressantes dans un contexte d’accroissement des contraintes pour les livraisons en ville par la route, notamment au travers de la multiplication et du renforcement des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m).
– Sa contribution à la transition énergétique :
Déjà très efficace en termes de consommation d’énergie, le transport fluvial cherche à continuer à améliorer sa performance environnementale. L’écosystème fluvial travaille au verdissement des motorisations de ses bateaux et au développement des stations d’avitaillement en énergies peu carbonées. Il est aussi à l’œuvre pour adapter les barges en réduisant leur tirant d’eau afin de pouvoir continuer à naviguer pendant des périodes d’étiage plus sévères.
Yann Quiquandon indique que, dans le cadre du Contrat d’Objectifs et de Performance de VNF, 3 milliards d’euros d’investissements sur 10 ans sont prévus sur le réseau navigable français pour l’entretenir et accroître son niveau de service.
Le Directeur territorial Strasbourg de VNF revient enfin sur le partenariat avec SNCF Réseau formalisé en juin 2021. Celui-ci a, d’ores et déjà, permis un premier travail de cartographie des nœuds et des flux dans l’objectif de faciliter le transfert d’un mode vers l’autre, par exemple lors de périodes d’étiage. Prochainement, un appel à candidatures sera lancé avec l’écosystème autour de Strasbourg, notamment avec des transitaires, afin d’identifier des flux routiers qui pourraient se reporter sur le ferroviaire et/ou le fluvial. Un objectif de quelques millions de tonnes de trafics est évoqué. Il s’agit de montrer par les faits que le report modal est économiquement faisable et viable.
Lionel Le Maire
Le report modal ferroviaire et fluvial comme levier économique pour un chargeur céréalier
Le directeur des transports de Soufflet estime que le mode routier continuera à être le mode de transport majoritaire pour l’activité de son groupe fortement consommateur de transport. Néanmoins, les modes massifiés revêtent une importance stratégique pour Soufflet et son modèle organisationnel. En effet, ce sont aux alentours de 600 trains qui sollicités par an pour l’activité du groupe.
Lionel Le Maire décrit le caractère spécifique du marché des céréales, mondialisé, avec des cours qui sont fixés à cette échelle. Les prix sont ainsi ceux pour une marchandise chargée dans le bateau et prête pour l’export. Les modes massifiés constituent alors un levier important pour pouvoir transporter en masse des produits agricoles en préservant la rémunération des agriculteurs. Les trains de céréales font partie de ces flux ferroviaires conventionnels qui sont essentiels et doivent être pérennisés.
Le maintien et la consolidation de la performance des modes massifiés repose largement sur celle des infastructures. En particulier, les lignes capillaires fret sont d’une grande importance. Elles sont cruciales pour le groupe Soufflet et les territoires ruraux qu’elles permettent de connecter. L’entreprise qui a son siège à Nogent-sur-Seine attend aussi beaucoup de la mise à grand gabarit de la Seine entre Bray-sur-Seine et le port de Nogent dans l’Aube.
Enfin, Lionel Le Maire rappelle que le fret ferroviaire est encore perçu comme étant difficile d’accès, rigide, compliqué et technique. De même pour le transport fluvial. Il est nécessaire de rendre plus facile le recours à ces modes. Il faut aussi améliorer leur performance. Il faut arriver à réduire les risques et faire en sorte que les flux planifiés puissent être effectivement assurés. Il faut aussi que les chargeurs disposent de délais suffisamment longs pour charger complètement l’ensemble des wagons prévus. S’ils n’ont pas assez de temps pour les remplir avec leurs moyens de chargement, un partie des wagons se retrouvent à circuler à vide, ce qui poste des problèmes de stocks et renchérit le coût à la tonne du transport.
Philippe Virtel
Les enjeux de complémentarité des modes du point de vue d’un transporteur routier
Le Président du groupe MGE évoque en préambule la multiplicité et la complexité, toujours plus grandes, des enjeux à intégrer lorsque l’on opère des activités de transport. Il cite, entre autres, l’enjeu de la décarbonnation, la nécessité de décongestionner les réseaux, le fait de devoir gérer la rareté des ressources (celles humaines en particulier) ou encore la vigilance à avoir pour ne pas se faire « percuter » par les évolutions réglementaires.
Philippe Virtel s’interroge ensuite sur les infrastructures régionales. D’un côté, il fait le constat que le territoire du Grand Est s’avère relativement bien maillé par les réseaux de transport, en particulier le réseau ferré. Les réseaux sont circulés, avec parfois des trafics très élevés sur certaines sections. En outre, ils sont bien intégrés au sein des grands corridors de transport européens. Mais, d'un autre côté, il se demande si le territoire est finalement bien desservi. Il pointe du doigt le faible nombre de points de connexion entre les différents modes et, surtout, de la route vers le rail. Le Grand Est a finalement peu de chantiers de transport combiné. Ainsi, quand bien même la loi rendrait obligatoire le recours du fret ferroviaire pour certains flux, il serait techniquement très difficile pour nombre d’entre eux de pouvoir les assurer en pratique avec les infrastructures actuelles.
Échanges avec les autres participants
Les questions des autres personnes présentes lors de l’atelier ont permis d’aborder quelques autres sujets, parmi lesquels :
– les perspectives de long terme sur les capillaires fret et l’évolution de leur gouvernance
avec le responsable des affaires publics de Tereos
– la connaissance de la structuration de la répartition des flux
selon notamment leur destination, leur distance et leur mode de transport, ainsi que l’importance du compte propre
– l’intérêt des canaux Freycinet pour le transport fluvial
mais aussi les difficultés pour naviguer sur ces voies d’eau à petit gabarit souffrant d’un entretien insuffisant (tirant d’eau – et donc tonnages – limités par l’envasement ou le manque d’eau), avec le Vice-Président des Entreprises fluviales de France (E2F)
– les difficultés qu’une collectivité peut rencontrer pour faciliter le report modal
avec la directrice du développement économique de la Communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne impliquée dans un projet de futur terminal rail-route sur son territoire
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