Alsace : la mise en œuvre du péage poids lourds R-Pass confiée à T-Systems et GEA

La Grenobloise d’électronique et T-Systems ont remporté le contrat pour la mise en place et l’exploitation de la taxe R-Pass auquel la Collectivité européenne d’Alsace a prévu de soumettre les poids lourds à partir de 2027.

Le dispositif R-Pass s’inspire de la LKW Maut, la taxe sur les poids lourds mise en place en Allemagne depuis 2005. Il y constitue d’ailleurs une réponse, puisque la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) estime que le péage allemand a entraîné, dès la première année, un trafic de report de 2 500 camions chaque jour sur les routes alsaciennes.

Carte des routes concernées en Alsace par la mise en place de R-PassR-Pass consiste en l’introduction, à partir de début 2027, d’une contribution de l’ordre de 15 centimes d’euro par kilomètre en moyenne sur chaque camion empruntant l’axe autoroutier nord-sud alsacien (A35) et les principales routes reliant cet axe à la frontière allemande (A36 dans le Haut-Rhin sur sa partie non concédée, D502 et D504 dans le Bas-Rhin).

40 à 60 millions d’euros de recettes attendues chaque année

La mise en place de cette taxe devrait rapporter 40 à 60 millions d’euros de recettes annuelles à la collectivité. Sa finalité première, selon la CeA, est d’éviter que les poids lourds transitent par l’Alsace, où l’autoroute Nord-Sud est actuellement gratuite (en dehors du contournement ouest de Strasbourg, mis en service fin 2021 et concédé), plutôt que par l’autoroute allemande A5 où ils doivent s’acquitter de la LKW Maut.

La CeA met aussi en avant d’autres bénéfices pour le territoire alsacien : réduction du trafic poids-lourds entre l’Alsace et l’Allemagne, diminution de la pollution sonore et atmosphérique, et enfin contribution du trafic de transit au coût d’entretien des routes.

Un dispositif embarqué et des portiques de détection

Fin janvier 2025, la CeA a annoncé les noms des deux entreprises retenues pour la mise en place et l’exploitation du système de péage. Il s’agit de T-Systems Road User Services, filiale de l’entreprise allemande T-Systems au sein du groupe Deutsche Telekom, et de la Grenobloise d’électronique et d’automatismes (GEA), fondée en 1971 et leader en France des systèmes de péage (avec une part de marché nationale de près de 90 %). Ensemble, elles ont créé une société commune « R-Pass Opérateur » (85 % T-Systems / 15 % GEA) dont le siège est à Strasbourg.

Le contrat est d’une durée de 8 ans et demi avec une option de prolongation de 3 ans. L’investissement initial prévu au contrat est de 16,5 millions d’euros, et le coût de fonctionnement de 6,5 millions d’euros par an. Les camions, géolocalisés par satellite grâce à un dispositif embarqué (OBU soit « On-Board-Unit ») dont beaucoup sont déjà équipés pour circuler sur des routes déjà soumises à redevance dans d’autres pays d’Europe, seront aussi détectés par des portiques de contrôle.

Les entreprises alsaciennes s’opposent au projet

Dès l’annonce du projet de taxe R-Pass, les transporteurs routiers alsaciens ont été les premiers à monter au créneau pour faire part de leur opposition au dispositif. Réunis au sein du Collectif pour la compétitivité de l’économie alsacienne (CCEA), ils dénoncent un « retour de l’écotaxe » qui « engendrerait des répercussions néfastes sur l’économie locale, impactant tant les entreprises que le pouvoir d’achat des consommateurs ». Créé en avril 2022, le Collectif réunit, outre les transporteurs de la FNTR, de l’OTRE et de TLF, les principaux représentants économiques du territoire : chargeurs, syndicats agricoles et différentes branches, surtout industrielles, du Medef.

Les transporteurs pointent notamment le fait que ce sont eux, et non l’opérateur de R-Pass, qui devront collecter la nouvelle taxe, ce qui aura un fort impact sur leur trésorerie. Surtout, ils s’inquiètent de la grande difficulté d’une répercussion de cette taxe sur leurs clients : « une pure fiction » selon la FNTR. Et si répercussion il y a, « ce sont les entreprises locales qui vont en souffrir, avec un grand impact sur l’économie locale, selon l’OTRE. Indirectement, ce sont les consommateurs alsaciens qui vont payer. »

La justification même du R-Pass, c’est-à-dire la taxation du trafic de transit, est aussi remise en cause : un argument « irrecevable » selon TLF, qui avance que, sur les routes alsaciennes, « 85 % des distances parcourues le sont pour l’économie locale, le trafic de transit ne représentant que 15 % des kilomètres parcourus et 7 % du nombre de camions ».

La CeA, de son côté, met en avant l’étude de trafic réalisée en 2024, selon laquelle 50 % du montant récolté par la taxe portera sur le trafic de transit, 20 % sur le trafic interne à l’Alsace et les 30 % restants par le trafic d’échange, celui dont seulement l’origine ou la destination est alsacienne.

Une étude d’impact qui n’arrive pas à mettre tout le monde d’accord

La concertation engagée en 2022 par la CeA avec les acteurs économiques alsaciens se poursuit en 2025 avec plusieurs groupes de travail inter-filières. La collectivité met en avant les plus de 150 entretiens menés avec les représentants d’une dizaine de filières dans le cadre de l’étude d’impact sur le R-Pass. Confiée par la CeA au cabinet Deloitte, celle-ci a été restituée en octobre 2024. Elle évalue à 12,6 % l’impact du R-Pass sur la marge nette des transporteurs locaux en s’appuyant sur une hypothèse de répercussion à 90 % de la taxe par les transporteurs à leurs clients.

Cette hypothèse est vivement contestée par les représentants des transporteurs, d’autant qu’elle ne tient pas compte du délai de mise en œuvre de cette répercussion. Selon la conjoncture économique et l’équilibre du marché lors de l’introduction effective du R-Pass, la répercussion pourrait être plus ou moins rapide et plus ou moins importante. Le risque est notamment que certains transporteurs tardent à répercuter le surcoût à leurs clients par crainte de perdre des marchés et du chiffre d’affaires en augmentant leurs prix. À l’inverse, les utilisateurs de transport estiment l’hypothèse de répercussion trop basse.

Les transporteurs locaux devraient donc être les principaux impactés économiquement par la mise en œuvre du péage alsacien. Pour les transporteurs nationaux, l’impact serait nettement plus faible : autour de 1,1 % de la marge nette. Toutes filières économiques confondues, l’impact sur la marge nette des entreprises alsacienne est estimée à 0,3 %.

Pour le consommateur final, l’impact de R-Pass sur les prix en magasin devrait rester très limité selon Deloitte, qui évoque une « taxe quasi-indolore pour le consommateur », avec une hausse du panier de dépenses des ménages de l’ordre de 0,04 % en cas de répercussion de l’intégralité de la taxe vers le consommateur final.

Un futur observatoire de la taxe

Pour évaluer les recettes du péage, son impact sur les reports de trafic ainsi que sur la compétitivité de l’économie alsacienne, la Collectivité européenne d’Alsace a annoncé la mise en place d’un observatoire de la taxe en même temps que la mise en œuvre opérationnelle de R-Pass, c’est-à-dire début 2027.

Photo : © DREAL Grand Est
Carte : © ORT&L Grand Est